Vice-présidente de la commission jugement, Juge en Disciplines Artistiques indoor & outdoor
Un engouement immédiat
Le parcours de Cristina, comme beaucoup de nos paras, commence par l’envie de s’essayer au tandem à sa majorité. C’est finalement à 30 ans qu’elle en aura l’opportunité, à Pamiers (09), accompagnée par son amie Anne-Laure Barthelot à la vidéo. Arrivée au sol, immédiatement, elle a l’envie de repartir pour d’autres sauts. Elle se voit même déjà les enchaîner : « Si on m’avait proposé de vider mon compte en banque contre une place dans le prochain avion, je l’aurais fait ! » se rappelle Cristina. L’adrénaline, cette hormone aussi puissante qu’une tempête, aussi intense qu’un feu intérieur, déclenche une réaction en chaîne après des émotions fortes. Avec le parachutisme, les sensations sont décuplées à une vitesse phénoménale : la peur, le stress, la joie, l’inconnu, le bonheur de l’expérience. Sauf que quand on y goûte, souvent, on devient accro.

Anne-Laure temporise, lui propose d’attendre un peu avant de renouveler l’expérience … Mais, au bout de 3 mois, Cristina n’en démord pas et demande à sauter. Elle réalise qu’elle est piquée et décide d’enclencher avec une PAC, en 2016. À partir de cet instant, chaque weekend, elle prend sa voiture pour rejoindre Pamiers et renouer avec le ciel. Profondément animée par l’envie de retrouver une ambiance incomparable sur place et cette communauté à laquelle elle s’est rapidement intégrée, elle n’hésite pas et multiplie les sauts. Toutefois, limitée par le budget, Cristina cherche une solution pour concilier la pratique et l’aspect financier. « Je me suis donc tournée vers le pliage pour financer mes sauts et, par la suite, d’autres baptêmes et formations » explique-t-elle. Les mois s’enchaînent ; elle totalise plus d’un millier de pliages pour 300 sauts ! Elle passe alors les brevets, jusqu’en 2018, où l’envie de compétition s’éveille en elle. Ancienne gymnaste, il lui apparaissait naturel de transposer rigueur, encadrement et son ADN de challenger à cette nouvelle passion, qu’elle qualifie de « viscérale ».
L’arrivée au jugement
Elle se tourne vers le jugement, et fait une demande pour intégrer la commission, dont Ervin Greiner est alors président. Sa candidature est retenue. Elle attend avec impatience une formation qui devait débuter en 2021… et la pandémie de Covid 19 bouscule ce projet. Les activités sont complètement gelées. Ervin la rappelle fin 202. Elle confirme son intérêt, mais fait part de deux changements majeurs. Le premier, elle ne saute plus, contrainte par un gros accident ; et le second est plus personnel puisqu’elle est en couple avec un compétiteur, engagé sur les circuits et visant les podiums. Ervin lui répond alors que ne pas sauter n’est pas un critère, nombre de juges ne sautant pas ou plus. Concernant le conflit d’intérêt personnel, à elle d’être impartiale, d’autant que le jugement ne se fait jamais seul, c’est un panel qui définit la notation. Il la rassure aussi quant à la sévérité à appliquer : d’expérience, on est souvent beaucoup plus dur avec les compétiteurs que l’on connaît, par crainte d’être accusé de surévaluer !!
Elle suit la formation de juge en août 2022, à Dijon (21). Cristina exprime avec reconnaissance la « chance extraordinaire d’avoir une compétition juste après la formation, pour mettre en application tout ce que l’on avait appris en théorie. J’ai adoré l’ambiance, le jugement en lui-même, la capacité à pouvoir apporter mes compétences. » Très adepte de la soufflerie, en particulier depuis son accident pour pouvoir continuer à pratiquer, elle apporte aussi cette expérience aux juges, qui, pour certains, ne sont pas familiers avec cette pratique.
Incarner de nouvelles responsabilités

Elle s’intègre rapidement au sein de l’équipe grâce à sa personnalité solaire. Fin d’année 2023, la commission se dissout pour diverses raisons. Cristina est approchée pour la reprendre. Elle répond tout de suite oui, mais souhaite s’entourer d’une équipe qui vibre collégialement autour de la volonté de faire bouger les choses, d’innover, de mettre en valeur les compétiteurs. Faire rayonner la compétition, faire évoluer les juges dans leurs compétences, ce sont des défis stimulants et exaltants !
Cristina devient vice-présidente de la commission en 2024 « J’ai eu la belle surprise d’être élue à l’unanimité par mes pairs ; j’en suis très fière. Nous nous sommes réunis à huis-clos, avec les 6 personnes élues, pour définir les rôles et fonctions de chacun. Nous avons choisi de former un binôme avec Patrick Bellivier, qui a davantage de vécu en jugement et sur les compétitions. » En tant que vice-présidente de la commission dédiée, sa mission principale est de démocratiser la compétition. Cela passe par la multiplication des rencontres, la motivation et l’encouragement de toutes et tous : compétiteurs et nouveaux juges. Et aussi parce que, l’année prochaine, auront lieu des modifications au sein de la FFP. Il faut des représentants par Commission, dans le respect de la parité. Pour la commission jugement, il faudra une femme élue. « Nous anticipons donc dès à présent pour former des élues et qu’elles puissent monter en compétences pour la prochaine élection. »
Faire évoluer la pratique et son jugement pour lui permettre de perdurer
Cristina note une transformation du parachutisme et de ses disciplines, qui s’intensifie : « Notre sport évolue beaucoup plus vite que le jugement, car il y a de moins en moins de compétitions. Pourtant les pratiques changent. Cela nécessite une grande adaptabilité. C’est un défi constant de réactivité et de formation, avec, notamment, la soufflerie qui se développe très rapidement, pour laquelle le jugement se fait en direct. » La montée en puissance des compétiteurs est exponentielle et, surtout, très rapide. Il faut donc que les juges soient formés à la hauteur des compétiteurs. « La méthode indoor est complètement différente de ce que l’on connait dans les autres disciplines, dans lesquelles nous avons un délai prévu pour statuer et modérer. Il nous faut donc faire appel à des techniciens, souvent anciens compétiteurs. Nous mettons en place des stages pour acquérir leurs compétences. La direction, les entraîneurs nationaux se déplacent pour affiner leur œil. »
Recruter est l’un des grands enjeux fédéraux, tant au niveau des compétiteurs que des juges. Aujourd’hui la Fédération Française de Parachutisme manque de juges, notamment en disciplines artistiques. On dénombre 6 juges en DA. Or, un panel de 5 juges doit être présent, dont 3 sur place. La marge est très fine, avec un risque direct d’annulation de la compétition. Pour pallier à cette difficulté, les initiatives se multiplient pour donner envie à d’autres de rejoindre les effectifs de juges. Le jugement souffre d’a priori dont il faut se défaire, surtout de la part de certains qui n’osent pas se lancer ! Cristina soutient que « au contraire, les juges se doivent d’être au contact des équipes, d’instaurer un dialogue avec le collectif. C’est ainsi que l’on peut savoir ce qu’ils attendent, anticiper les figures difficiles, les enchaînements, et toujours mieux comprendre la discipline. »
Si avoir exercé la discipline n’est pas un prérequis, il faut surtout avoir une licence et connaître le règlement. Voire, même, être parachutiste n’est pas obligatoire pour devenir juge, même si c’est préférable et facilitateur. Alors avis aux curieux ; rapprochez-vous des structures. Il faut savoir ce qu’est un layout pour pouvoir les départager et noter au mieux. Pour autant, la vidéo est un bon moyen pour se former, énormément de ressources étant accessibles. Malgré tout, c’est l’expérience spécifique du jugement qui est la plus formatrice. C’est elle qui permet d’envisager l’international par la suite.

De son côté, Cristina reste très exigeante envers elle-même. Elle souhaite renforcer son expertise en DA et intégrer le circuit international. Cette démarche répond aussi à l’ambition de mise à niveau des juges Français par rapport à l’explosion des compétiteurs. Ella participé aux Windgames, une expérience qui l’a confortée dans son envie d’aller explorer des compétitions en Europe ou dans le Monde. Elle envisage désormais de se présenter à une formation FAI en 2025 ou 2026. Elle a déjà engagé des moyens financiers pour aller à la Coupe du Monde de Voss avec l’objectif de se familiariser aux instances, commencer à s’intégrer au panel, parfaire son anglais sur les termes techniques. Pour se donner les moyens de ses ambitions, Cristina va déposer une demande à la commission juge pour s’engager en formation FAI. Elle a ensuite obtenu l’accord successif du club, de la Ligue et de la Fédération comme le veut le protocole. Les candidatures sont retenues selon les profils, l’expérience en jugement et la motivation. La formation est assidue, après la partie théorique, suit un examen pour valider les acquis.
L’engagement, second souffle à la passion du parachutisme
L’engagement associatif, d’autant plus le jugement de compétitions sportives est chronophage. C’est donc un choix, motivé par l’envie d’être utile, d’exercer une responsabilité, d’acquérir de nouvelles compétences. C’est un véritable vecteur d’épanouissement personnel, dont le pendant est la difficulté à trouver du temps. « Il faut jongler entre pro, perso et associatif. Alors, comme pour tous les para, congés rime avec parachutisme ! » raconte Cristina. Son compagnon étant lui aussi para « on organise entièrement notre planning en fonction du calendrier, pour suivre sur les compétitions, découvrir de nouvelles destinations, toujours au sein de cette communauté. C’est un plaisir donc la question ne se pose pas. On adapte notre quotidien pour laisser une place au para. Cela m’apporte tellement, et me permet de rester en contact avec une passion que je ne peux plus pratiquer aujourd’hui. J’existe en tant que parachutiste, différemment. Et puis être juge, c’est endosser une responsabilité. Quand je suis sur une DZ, j’ai un rôle à jouer. Je profite certes, mais c’est une position que je me dois à moi-même. Je ne suis ni simple spectatrice, ni définie par mon statut d’être en couple avec un para. »
Des mesures pour repenser et optimiser la compétition
Les compétitions sont de moins en moins nombreuses, car elles sont coûteuses et demandent des moyens humains conséquents, mobilisés longuement dans l’organisation. Une compétition n’est jamais rentable ; elle est même souvent à perte. Dans le contexte économique et environnemental actuel, les clubs sont souvent la cible de vives critiques concernant les nuisances sonores ou la pollution. Si l’on prend l’exemple du Collectif France, tous sont salariés dans des entreprises privées ou publiques hors parachutisme. Donc pour chaque compétition et chaque entrainement, il faut poser des jours de congé pour les compétitions et les d’entraînements. Les conditions de transport peuvent poser problème également… Toute cette logistique est parfois trop lourde et freine les compétiteurs, les juges, voire met en péril la pratique du parachutisme.

Le jugement live, à distance, commence à être abordé pour limiter les déplacements, même si cela se fera forcément au détriment de l’ambiance de la compétition sur zone. L’avenir de la pratique doit être abordé, sans tabou, sous l’angle financier pour perdurer. A Dijon, par exemple, un donateur avait permis d’avoir des prize money, à la condition que chacun des compétiteurs reçoive quelque chose. « Aujourd’hui, un chèque de 50€, c’est un saut supplémentaire pour les compétiteurs ; c’est énorme. Pour certains c’est un vrai blocage à la pratique. Or, amortir les frais c’est aussi se projeter sur l’année suivante et inscrire la pratique sportive sur le long terme. C’est aussi pour cela que les compétiteurs intègrent de plus en plus les jeunes dans les stages de détections, à condition de s’inscrire à la compétition ou former des sous équipes avec des athlètes confirmés (une équipe VR8 à Vichy par exemple) » explique Cristina.
Pour intégrer de nouveaux juges, le facteur temps est une contrainte, car, par nature, incompressible. Les jeunes ne peuvent pas toujours prendre des congés comme ils le souhaitent, et n’ont pas nécessairement les moyens de se rendre sur les DZ partout en France. La FFP a souhaité prendre en charge intégralement les formations de juges stagiaires, y compris leurs déplacements. Bien sûr dans le cadre des contraintes budgétaires, mais la politique fédérale est vertueuse, car elle pousse à la compétition. Lors du colloque à Nantes, l’ensemble de ces sujets ont été abordés. Tout comme la possibilité d’ouvrir le sport à des partenaires et sponsors pour financer la politique fédérale. C’est un enjeu, car il faut faire rêver, mais c’est toujours compliqué. En effet, le parachutisme est difficilement représentatif pour les spectateurs au sol. De plus en plus, les organisateurs prévoient des écrans géants pour diffuser les sauts. Au regard de l’ensemble des moyens mobilisés par la compétition, la mutualisation s’impose comme une option pérenne.
Cristina défend notamment l’idée d’un championnat multidisciplinaire, plus cohésif, qui permet de déplacer des juges multi-casquettes, et réunirait l’ensemble des compétiteurs, comme à Vichy (03) en 2017. Le choix du lieu a son importance également. Ce sont 500 compétiteurs qui se déplacent, sachant que l’organisation reste dépendante, comme toujours, des conditions météorologiques. Pour elle, il faut moderniser et restructurer, repenser les modèles de compétition en consultant toutes les parties prenantes.
La passion n’a de raison que dans la transmission aux autres
“En France, nous avons la chance d’avoir un superbe esprit de communauté. Pour les jeunes juges, c’est une opportunité. Il ne faut pas hésiter à solliciter les compétiteurs, regarder leurs vidéos de sauts, … Les grands champions répondront toujours présents, parce qu’ils sont passionnés et qu’ils ont conscience que questionner aide à faire progresser” s’enthousiasme-t-elle. Cristina se rappelle avec émotion de ses débuts, en tant que plieuse. « A l’époque je regardais avec beaucoup d’admiration des équipes telles que Waxx ou Solaris défiler. J’enchainais les pliages et j’avais les mains en sang tout le weekend. Karine Joly est arrivée, m’a pris les mains, m’a mis des cataplasmes, puis a plié les sacs à ma place ! J’étais penaude, inexpérimentée, et je voulais sauter plus que tout. Quand Loïc Perrouin m’a invitée à partager l’un de leurs sauts, je n’y croyais pas, je n’aurais jamais osé demander. C’est ainsi que j’ai fait mon 78ème saut avec des champions du monde ! Ça n’arrive dans aucun autre sport ! »

Parce que la passion ne s’exprime que dans le partage, et qu’elle rayonne dans le collectif, cet état d’esprit est partagé collégialement. Absolument tous les parachutistes ont un souvenir avec des champions qui paraissaient intouchables, mais qui pourtant sont très accessibles et volontaires pour faire découvrir tous les aspects de leur sport.