Astrophysicienne, parachutiste multimédaillée et recordwoman de plongée
Toulousaine, à 36 ans, Gaëlle compte parmi la quarantaine de physiciens en France. Atypiques, voire parfois surprenantes, elle a toujours partagé sa vie entre plusieurs activités exigeantes. Le parachutisme et la plongée, débutés à seulement deux mois d’intervalle, à l’âge de 19 ans, en font partie. Passionnée par le spatial depuis son plus jeune âge, elle suit une scolarité en Suisse, obtient son baccalauréat à Berlin, puis retourne en Suisse pour ses études, avant de passer sa thèse au CEA Saclay, en région parisienne. Arrivée à Toulouse à 24 ans, après avoir finalisé sa thèse, Gaëlle s’y est installée.
Depuis 2017, elle exerce au Centre National d’Etudes Spatiales (CNES), où elle travaille avec passion et un engagement sans faille sur des projets d’astrophysique et d’astrobiologie. Son activité se concentre sur deux sujets principaux :
- Le premier, ARIEL une mission de l’Agence Spatiale Européenne, à laquelle le CNES contribue, est un ambitieux projet de télescope spatial conçu pour étudier les atmosphères des exoplanètes ; ces mondes lointains qui orbitent autour d’autres étoiles, en dehors du système solaire. L’objectif ? En observer, détecter et analyser la composition chimique, voire, potentiellement, apprécier si une forme de vie serait possible. Le projet sera concrétisé en 2029, lorsque le télescope sera à bord d’une fusée Ariane 62 et se positionnera à 1,5 million de kilomètres de la Terre. Il pourra dès lors se concentrer sur l’étude des atmosphères, grâce à la méthode des transits.
- Le second projet est, quant à lui, porté par la NASA (National Aeronautics and Space Administration). DRAGONFLY vise à explorer Titan, la plus grande lune de Saturne. Ce projet, repoussant les limites de l’exploration spatiale et porteur de découvertes fascinantes, prend la forme d’un drone de la taille d’une petite voiture, propulsé par un générateur thermoélectrique à radioisotope de haute technologie. La vie sur Terre étant, plus que jamais, polluante et mettant en danger notre atmosphère, les caractéristiques chimiques de notre planète s’en trouvent durablement modifiées. Titan représente ainsi un laboratoire dans lequel ont été préservées les conditions semblables à celles sur Terre avant que la vie n’émerge. Des études complémentaires sont réalisées pour analyser la biochimie et comprendre les origines de la vie. La mission principale de Dragonfly sera donc d’étudier la structure complexe de Titan au niveau prébiotiques, pour rechercher des précurseurs biologiques (avant que la vie n’apparaisse), analyser la composition du sol et de l’atmosphère, étudier les conditions qui auraient pu mener à l’apparition de la vie sur Terre.
Pour l’anecdote, Titan possède une atmosphère très dense, une température glaciale et un sol congelé. Pourtant, équipé d’une combinaison de wingsuit, un battement d’ailes suffirait à s’envoler. Le rêve de chaque parachutiste pourrait-il prendre forme ? Croisons les doigts et préparons les voiles !
Concilier carrière professionnelle et sportive
Licenciée du Centre Ecole de Parachutisme Sportif de l’Ariège, à Pamiers (09), Gaëlle cumule plus de 3.600 sauts, 120 heures de soufflerie et détient un palmarès impressionnant en Vol Relatif. Dans cette discipline hautement complexe, elle a adoré la technicité approfondie imposant de repousser sans cesse ses limites. Chaque saut était l’occasion d’aller plus loin, de découvrir d’autres automatismes. Elle garde le souvenir vibrant de l’impatience, chaque veille de compétition, avant de découvrir le programme imposé. « Vous avez 2 millions de possibilités de sauts qui se jouent lors d’un tirage au sort qui dictera votre journée du lendemain. En entrainement, nous faisons un maximum de figures, d’enchainements différents pour appréhender les dynamiques de groupe, optimiser la fluidité. Nous sommes ensemble et agissons comme un tout, jusqu’à la dérive en individuel où l’on souffle, une fois la performance effectuée. Un saut, c’est très court. Vous jouez une médaille en 50 secondes de chute libre. »
Son parcours sportif a pris un tournant décisif en 2012, date à laquelle elle va se fixer l’objectif d’intégrer l’équipe de France, pas moins. Elle intègre d’abord une équipe de N2. Et ses efforts vont porter leurs fruits : en 2015, elle rejoint l’équipe Espoir tout en débutant sa carrière au CNES. L’année 2018 marque son entrée dans l’équipe de France de VR4 et de VR8, avec laquelle elle va remporter trois championnats consécutifs.




Gaëlle a aujourd’hui un beau palmarès derrière elle : championne du Monde, 4 fois vice-championne du Monde, vainqueur de la coupe du Monde, 2 fois médaillée d’Argent en coupe du Monde, vice-championne d’Europe, triple championne de France, vice-championne de France, vainqueur de la coupe de France … Elle a aussi été juge de VR en soufflerie.
On pourrait légitimement penser que concilier une carrière scientifique avec de telles performances sportives est compliqué en soi. Et bien, au parachutisme, Gaëlle va ajouter une autre discipline tout aussi exigeante : la plongée sous-marine… Pour elle, c’est juste un moyen de renforcer le défi : « Ce n’est qu’une affaire d’organisation et de tableaux Excel ! Lorsque j’étais en Equipe de France de Vol Relatif, Mathieu Bernier nous donnait, chaque début d’année, un planning d’entrainement pour l’année à venir, jusqu’aux championnats. Cela nous permettait de nous coordonner dans nos entreprises, d’anticiper et de bloquer l’agenda. J’ai la chance d’avoir des collègues très arrangeants. Ils me suivent dans mes aventures et cela m’aide grandement. Alors, pour ce projet, je me suis calquée sur la même méthode qui me convenait bien et que j’avais pu éprouver par le passé. C’est assez redoutable ! J’ai pu m’organiser avec l’ensemble des contraintes, parfois en déplaçant des réunions importantes, en intercalant des sessions d’entrainements dès que cela était possible … Finalement, je travaille en mode projet sur tous les aspects de ma vie ! »
Après avoir mis fin à sa carrière en compétition de parachutisme fin 2022, Gaëlle s’est lancé un nouveau défi : battre le record féminin de plongée profonde.
Un record de plongée féminin à 222 mètres
Le lundi 30 septembre 2024, Gaëlle a plongé à 222 mètres de profondeur en recycleur, un circuit fermé qui permet d’expirer, dans un tuyau, l’air et de le réutiliser en continu. Accompagnée par une dizaine de personnes (plongeurs d’assistance, secours, infirmières, photographe sous-marin), la plongée de Gaëlle a duré 4h30. Une durée presque cruelle qui commence par une descente d’un quart d’heure… avant de remonter, durant 4 heures 15, respectant scrupuleusement les paliers de décompression. La plongée a eu lieu au large de Cassis, battant ainsi l’ancienne tenante du record du monde : l’américaine Kimberly Inge, qui avait plongé à 198 mètres. Gaëlle explique : «Le record masculin est établi à 316 mètres. Je voulais m’en rapprocher un peu, même si l’écart reste encore présent. Pourtant, il n’y a pas de raison physiologique qui ferait que les femmes ne peuvent pas plonger aussi profond que les hommes. »


L’entrée dans l’eau marque le début d’une transition entre deux mondes. Gaëlle compare cette expérience au passage d’un sas, similaire à celui d’un avion en parachutisme. Le matériel est lourd. La préparation, importante, peut prendre jusqu’à une demi-journée, avec une planification minutieuse et une optimisation de chaque aspect de la performance durant laquelle il faut s’assurer de la sécurité de l’équipement. À 6 mètres de profondeur, après avoir vérifié que tout est en ordre, commence véritablement la plongée. Cette préparation intensive a porté ses fruits : le 30 septembre 2024, Gaëlle a atteint son objectif en établissant un nouveau record du monde féminin à 222 mètres de profondeur. Elle a optimisé chaque aspect de sa performance, du choix du matériel à la configuration de ses recycleurs, en passant par l’élaboration d’un profil de remontée personnalisé. Au-delà de la performance, Gaëlle voit dans ces plongées extrêmes une opportunité de contribuer à la recherche médicale et à l’exploration de lieux inaccessibles. Elle compare les plongeurs profonds à des “chercheurs d’or des mers”, ouvrant de nouveaux chapitres dans l’exploration sous-marine.
Se consacrer pleinement à la préparation
Ce succès est le fruit d’un an et demi de préparation intense, incluant des plongées engagées comme celle à 80 mètres sur une épave, à Gênes, en avril 2023. Gaëlle s’est entièrement concentrée sur chaque palier, en commençant par celui à 80 mètres. Elle s’est également rendue au Mexique où elle a travaillé spécifiquement sur sa flottabilité à 10 mètres de profondeur. L’optimisation du matériel, notamment l’utilisation de deux recycleurs pour plus de sécurité a été un véritable enjeu déterminant. Ensuite, il a fallu configurer plus spécifiquement l’équipement, avec des bouteilles de secours réparties le long de la ligne de descente. Début 2024, elle s’est formée à la technique du double recycleur, retenue pour s’engager sur ce record.
Elle a testé différents modèles de décompression lors de plongées profondes, évaluant son état après chacune d’elles, appréciant la déshydratation et la fatigue causées par chaque plongée. Elle souhaite contribuer à la recherche médicale et explorer des environnements difficiles d’accès, comme les grottes étroites ou les épaves inexplorées. Lors de son record, Gaëlle a passé 1h40 au palier de 6 mètres pour valider sa compétence de stabilité. Elle compare cette phase à un entraînement en soufflerie pour le parachutisme. Pendant la remontée, elle a dû gérer ses émotions et rester concentrée, utilisant des techniques similaires à celles employées en saut d’avion lors d’une compétition. Loin de satisfaire son amour du défi, Gaëlle envisage de réaliser d’autres plongées et, pourquoi pas, d’aller encore plus loin.
Une exploration sans limite
Les ponts sont évidents entre la pratique sportive et la science. Probablement parce que le socle de chaque passion est la curiosité. Chez Gaëlle, cela relève d’une soif de savoir, d’un besoin exacerbé et permanent de vivre des expériences. Une inspiration constante à repousser ses limites, sportives, donc, mais aussi celles de la science et du savoir au sens large. Tout est lié, alors, pour Gaëlle, le choix évident est de ne pas choisir justement, mais de prioriser. Dans sa pratique sportive, Gaëlle a donc appliqué la même méthodologie rigoureuse, transférant les compétences acquises en parachutisme à la plongée profonde. Elle souligne les similitudes entre ces deux disciplines, notamment en termes de technicité et de préparation mentale.
Pour autant, il lui a fallu apprendre à se couper du monde professionnel, se mettre, entièrement, dans sa bulle, tout au long de la préparation. Il peut arriver, en été, que Gaëlle soit en alternance une semaine sur deux au travail ou en entrainement intensif. Or, la pratique du parachutisme, tout comme la plongée, nécessite une concentration à 100%. Il n’est pas concevable d’être « pollué » par le quotidien professionnel ou d’autres pensées envahissantes. La performance en dépend, et la sécurité encore plus. Comme toute sportive de haut niveau, Gaëlle est orientée sur la performance. Elle ne focalise pas sur le stress, mais sur la technicité, facteur déterminant des sports qu’elle a choisis. « La plongée, comme le parachutisme, ne sont pas des sports extrêmes. Ce sont des activités sportives en environnement extrême » explique-t-elle. « En vol relatif, chaque mouvement, chaque posture, chaque enchainement est travaillé, des centaines, sinon des milliers de fois, pour parvenir à l’excellence de la précision. Contrairement aux idées reçues, le risque est limité en parachutisme. Avant même de sauter d’avion, tous les curseurs sont au vert. Toutes les vérifications ont lieu en amont ; nous n’avons aucune crainte, aucune appréhension. Lors du saut, nous ne nous focalisons que sur notre performance avant de déployer la voile. »


En plongée, les situations peuvent être plus inattendues. Pour autant, Gaëlle assure ne ressentir aucun danger ou effet physiologique d’angoisse, une fois sous l’eau. « Le stress se situe entre soi-même et sa conscience. Il nous appartient alors d’identifier les risques et de mettre en place les procédés adéquats pour les gérer. » Au fond, le danger est un indicateur. En chute libre comme en plongée, le ressenti est primordial pour être performant et rester en sécurité absolue. Les sportifs travaillent donc une grande écoute, une sorte d’ultra conscience de leur corps. « En équipe de France de Vol Relatif, nous avions travaillé avec une préparatrice mentale. Elle nous a énormément apporté, notamment en visualisation. J’ai pu utiliser certaines de ces techniques pour la plongée, en particulier pour me conditionner avant de plonger… c’est la même chose qu’avant de sauter ! »
La philosophie du dépassement
Pratiquer un sport en environnement extrême implique, au-delà de l’engagement sportif, des concessions sur de nombreux aspects de sa vie personnelles. « On met tout en œuvre pour se donner les moyens de réussir son objectif. Cela passe aussi par l’acceptation d’un risque résiduel. Mais c’est un choix de vie que l’on impose à ses proches, quelque part, pas toujours dans la sérénité. En retour, j’ai voulu essayer de faciliter leur vie en préparent des écrits. » Pour Gaëlle, c’est un pendant presque cartésien, une promesse indicible : « En me lançant dans le projet de record de plongée, j’ai pleinement pris la mesure du risque. J’acceptais alors, peut-être, de ne pas remonter à la surface. » Une forme de responsabilité totale, assumée pleinement, contrepartie du plaisir absolu de pratiquer un sport-passion à haut niveau.
Cela passe aussi par une prise d’information assidue. En France, 3 personnes sont déjà descendues au-delà de 300 m. Au cours de sa préparation, Gaëlle a pu échanger avec elles et poser nombre de questions, comprendre ce qui avait été un obstacle, ce qui avait été facilitateur. Là aussi, l’effet miroir lui vient naturellement : « Le milieu de la plongée technique est restreint. Ceux qui pratiquent la plongée aussi profonde sont une poignée, l’équivalent de la compétition de Haut Niveau en Vol Relatif ! Dans ces milieux, l’entraide et les échanges vont forcément façonner la progression individuelle pour faire face à un effort continu et à un dépassement de soi que seuls connaissent les sportifs dans cet engagement total. « Pour moi, c’est presque plus une compétition face à soi-même, certainement la plus exigeante, pour déployer son potentiel ».
Plonger pour repousser son horizon
Gaëlle Giesen incarne l’exploration sous toutes ses formes, repoussant constamment les limites dans des environnements extrêmes. Son parcours illustre parfaitement la synergie entre une carrière scientifique exigeante et la poursuite de rêves sportifs ambitieux, démontrant comment le dépassement de soi peut mener à des réalisations plus grandes encore. Alors, son message apparait comme une évidence : « Si vous avez un objectif, ça va marcher ; avec de la persévérance cela marchera, c’est certain ! »
